Les jeux que nous offrons à nos enfants contribuent-ils à façonner la construction de leur identité en tant que filles ou garçons ? Les jeux ont-ils seulement un sexe de prédilection ? Et si oui, cette réalité procède t-elle d’une logique naturelle ou au contraire d’une construction sociale et culturelle ?
Je dois bien avouer qu’avant de devenir maman je ne me souciais pas de me poser cette question. Mais aujourd’hui, je me rends compte à quel point le sujet mérite que l’on s’y penche.
Mon fils a des voitures, des camions, des leggos, des peluches, des livres et des jeux d’éveil interactifs. Il grandit en jouant et en imitant ce qu’il observe autour de lui. Son papa et moi faisons en sorte de l’éduquer en lui offrant un panel d’outil varié qui lui permette de devenir un petit garçon puis un jeune homme épanoui, conscient et respectueux des autres et de lui-même.
En tant que femme et citoyenne, les valeurs que je porte me donnent envie de transmettre à mon enfant une compréhension globale des choses. Je n’ai pas envie de l’éduquer à base de « les petits garçons ça ne pleure pas » et « ça joue au foot et ça porte du bleu ». Je ne porte pas de jugement sur cette façon de faire, je sais simplement qu’elle ne me correspond pas.
Plus il grandit, plus je me demande ce qui contribue à faire de lui un petit garçon et à se reconnaître en tant que tel. L’éducation que nous lui donnons, la norme sociale, son ressenti, la biologie, le fait d’être né dans un corps de garçon ?
Je m’interroge sur les pratiques de jeux de nos enfants : diffèrent-elles en fonction du fait que les filles soient des filles et les garçons des garçons ? Petites filles et petits garçons aspirent-ils vraiment à des jeux (si) différents que cela ?
Imiter pour grandir, le « je » à travers le jeu
Je ne suis pas une spécialiste du développement des enfants, mais je sais à quel point il est important pour eux de jouer pour grandir et s’éveiller. Le jeu permet une prise de conscience de soi et des autres. L’enfant développe son identité peu à peu en réalisant qu’il appartient à un groupe tout en ayant son individualité propre.
L’imitation joue donc un rôle fondamental dans la construction de repères et de rituels au quotidien dans la vie d’un enfant et d’un adolescent et contribue donc à son développement cognitif et émotionnel. Mais alors, peut-être faudrait-il penser des jeux qui offrent la possibilité aux enfants de se comprendre et de se définir en tant qu’individu singulier et non en tant que futur réplique d’un concept sexué pré fabriqué en fonction du genre auquel ils appartiennent ?
Quand les jeux créent des représentations stéréotypées de genre
Depuis quelques jours, je m’amuse à détailler et analyser les publicités de jeux pour enfants. Les fêtes de Noël approchant, je me régale ! J’ai constaté avec effroi que la majorité des jeux pour garçons valorisent l’extérieur, l’action, l’agilité, la force ou l’intelligence alors que les jeux destinés aux filles sont consacrés à un espace limité à l’intérieur (pour ne pas dire cantonnés à la sphère de l’intime). Il s’agit de décorer, coiffer, maquiller, pouponner, styliser, créer -des tenues ou des bijoux- prendre soin de.
Il semblerait donc que dès le plus jeune âge, filles et garçons soient orientés vers des rôles sexués de ce qu’ils sont censés incarner une fois qu’ils deviendront grands.
La responsabilité des publicitaires et des créateurs de jouets
Partant de ce constat, cela signifie que les adultes qui créent ces publicités et ces jeux ont une responsabilité quant à la manière dont certains stéréotypes continuent d’être véhiculés. Je ne suis pas convaincue que les petites filles soient forcément encline à vouloir jouer avec un poupon et je ne vois pas pourquoi les petits garçons n’auraient pas envie de jouer avec. Idem pour les petites voitures et les jeux d’action.
Si l’on prend le temps de décrypter le message subliminal qui se cache derrière ces spots il faut comprendre que la petite fille est par essence faite pour devenir une future mère qui bercera son enfant, alors que le petit garçon (le future père au passage !) s’orientera vers l’extérieur pour vivre l’aventure de l’exploration d’un monde à découvrir (et à dompter). N’avons nous pas autre chose à proposer à nos enfants sérieusement ?
Dans la même continuité, ce que l’on nous propose c’est une manière (insidieuse ?) de préparer, dès le plus jeune âge, ces petites filles et ces petits garçons à devenir des adultes prêts à endosser des rôles normés et formatés en s’assurant qu’à travers le jeu, ils intégreront les codes genrés définis par des critères sociaux qu’il faut à mon sens remettre en question. Si l’on veut que les hommes de demain cuisinent, soient de bons pères de famille, épaulent leurs compagnes il faut commencer par redéfinir la manière dont on accompagne les petits garçons dans leur évolution. Si l’on souhaite que les femmes assument leur leadership, leur force, leur capacité à agir et gouverner, nous devons leur offrir des espaces de jeux et d’exploration qui leur donnent la possibilité de courir, sauter, conduire des voitures, faire des expériences chimiques.
Faire la part des choses
Je crois sérieusement qu’il y a un problème dans la façon dont nous sont présentées les choses et qu’il est primordial d’y être vigilants. En réalité cela ne me pose pas de problème que les jeux offrent une dimension d’identification aux enfants. Ce qui est problématique pour moi, c’est de constater que cette identification passe par un mécanisme de construction d’une identité qui limite et cantonne à la fois l’essence masculine et féminine dès le plus jeune âge empêchant ainsi les enfants d’envisager autre chose.
De cette manière si je suis une petite fille je suis destinée à pouponner, et si je suis un petit garçon je me dois d’être un aventurier. La façon dont les jeux créent des stéréotypes en prétextant répondre à une norme sexuées et à un besoin inné passe totalement à côté de l’intelligence des enfants et de leur capacité à choisir par eux même. C’est également une belle façon de nier et de rendre stérile leur créativité et leur imaginaire. Puisque le jeu leur arrive « tout cuit » avec un rôle et une fonction prédéfini.
Si nous voulons que les hommes et les femmes de demain évoluent vers une voie égalitaire, équilibrée et harmonieuse, commençons par proposer aux enfants d’aujourd’hui des modèles différents. Un petit garçon qui joue à la poupée sera sans doute un père plus investi, un petite fille qui s’amuse à jouer avec un jeu de construction n’hésitera pas à bricoler ou à vouloir intégrer une école d’ingénieur. Mon analyse est peut être naïve, mais je sais qu’il y a du vrai dans ce que je pressens…