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Du racisme normé…

Du racisme normé

Aujourd’hui alors que je me suis rendue à la banque afin de récupérer un chéquier, j’ai vécu une expérience de racisme normé comme nous en avons tous vécu au moins une fois dans notre vie. Que vous en soyez la victime, l’initiateur ou simple spectateur, ces situations nous impactent tous au plus profond de nous et ce quelque soit le rôle que nous jouons dans ce drame humain, pour la simple et unique raison que le racisme normé enlève et supprime la valeur sacrée de chaque individu !

En effet, au delà de nos prétendues différences, nous sommes tous connectés par une essence universelle qui nous unie à la collectivité terrienne sans que nous en ayons réellement conscience. Cette réalité, aussi invisible soit elle, pré existe aux définitions identitaires que nous avons décidé de créer en tant qu’être humain pour nous définir les uns par rapport aux autres.

J’en reviens donc à ma petite anecdote du jour. Il est 14h13. Nous sommes le mercredi 13 Mai 2015. Je sors d’un rdv chez le dentiste contrariée par la somme pharamineuse que je dois payer au centre de santé. Je suis enceinte de 7 mois révolu, mon ventre me tire et j’ai horriblement chaud dans cette petite agence où la climatisation ne semble pas fonctionner.

J’attends malgré tout et je prends mon mal en patience. J’observe une scène  de séduction entre un client bobo trentenaire et la chargée de clientèle avec qui il échange. Les deux inconnus roucoulent dans une danse suggestive qui saute aux yeux. Le printemps doit y être pour quelque chose… La scène m’amuse et me permet de me focaliser sur autre chose que sur la chaleur pesante des lieux.

Une dame qui doit avoir aux alentours de 60 ans (un peu plus un peu moins ) fait son entrée. Je l’observe l’air de rien s’avancer naïvement feintant de ne pas avoir vu ma présence ni celle des autres clients qui attendent gentiment leur tour. Je ne dis rien, désireuse de connaître les limites de cette dernière. La place se libère et la vieille dame se dirige sans gêne vers le guichet. Je la regarde outrée. Face à cette incivilité je n’ai d’autre choix que de signifier à mon aîné que j’attends depuis un long moment. La femme s’emporte. j’insiste. Les quelques clients présents dans les lieux ainsi que les deux agents de la banque affirment mes dires.

La vieille dame s’excuse platement. « Oh comme il y avait une autre dame comme vous qui est rentrée après moi j’ai confondu »

Par « une autre dame comme vous » vous devez comprendre une femme noire. Effectivement, une cliente appartement pressée n’est restée que très peu de temps dans la banque qui face à la file d’attente plutôt conséquente, préféra quitter les lieux.

Mon interlocutrice a donc confondu d’eux êtres qui, si l’on a le sens de l’observation, n’ont à priori rien à voir ensemble. La cliente dont il est question était une belle femme grande et élancée aux cheveux long et lisses. Je suis petite, aux cheveux court et crépus et de surcroît enceinte ! Expliquez-moi s’il vous plaît d’où provient cette confusion ? Si cette femme était plus consciente de l’espace qui l’entoure et des personnes qui le peuplent, cette soit disant erreur n’aurait pas eu lieu d’être car chronologiquement parlant, l’ordre d’arrivée entre cette femme et moi-même n’était absolument pas le même. Par ailleurs, nous n’occupions pas du tout le même espace dans l’agence.

Par « une autre dame comme vous » comprenez donc une femme noire. Sur un ton tout à fait désinvolte j’ai rétorqué à l’ancienne « Oui, une femme noire ! Étant donné que de toute façon nous nous ressemblons tous … »
La mèche était allumée. J’avais appuyé sur le point sensible déclenchant un feu d’artifice. Les gens se permettent de tenir des propos sans avoir conscience de la portée des mots qu’ils utilisent et lorsqu’ils se retrouvent face à des personnes en mesure de les confronter à eux même, l’explosion se produit.

La femme a commencé à s’agiter, à parler fort dans l’agence, à interpeller toutes les personnes qui s’y trouvaient. Elle s’est approchée de moi (chose à ne pas faire avec une femme enceinte dont la seule obsession est de protéger son ventre !)

J’ai coupé court en disant que l’incident était clos, que j’étais enceinte et de surcroît fatiguée et que je ne désirais qu’une chose, récupérer mon chéquier et rentrer chez moi.

Le bobo trentenaire a marmonné dans sa barbe quelque chose du genre : « oh noir, blanc, ça va.. On respecte les anciens. » Je n’ai pas pris la peine de lui répondre puisque ce dernier n’a pas semblé prendre la peine de s’adresser à moi ouvertement en adoptant une posture d’homme ancrée et désireux de dire ce qu’il avait à me dire.
Mais pour répondre à ce monsieur, mes propos n’ont en aucun cas manqué de respect à cette dame. Par ailleurs, les anciens ne méritent pas plus le respect que les autres sous prétexte qu’ils sont vieux. L’âge n’est pas gage de sagesse, la preuve en est. Et par ailleurs, j’accorde mon respect à chaque individu, et ce quelque soit son âge. Si je constate en revanche que ce dernier n’est pas respectueux à mon égard, je dois le signifier et ne pas me laisser faire.

Avec son petit commentaire, le trentenaire bobo met en évidence quelque chose de très intéressant. Lorsque vous êtes victime de racisme normé, cette forme de racisme qui prend naissance dans les discutions les plus banales et sans grand intérêt, ces échanges qui véhiculent depuis trop longtemps des représentations de l’autre absurdes, contraignantes et limitantes, et que vous avez les armes pour vous défendre et signifier à l’autre son offense, vous passerez pour le méchant, le persécuté communautaire qui n’a pas les clefs pour comprendre le monde actuel.

Seulement voilà, en tant qu’enfant de la République vous avez la tête bien remplie et une capacité rhétorique qui dérange. On ne peut plus vous réduire au « y’a bon monsieur », on ne peut plus vous berner. Vous connaissez votre histoire, celles de vos ancêtres et celle de votre pays, la France. Vous comprenez les enjeux et contrairement à vos parents et grand-parents vous ne faites plus profil bas, hors de questions que l’on se joue de vous ! Vous n’êtes pas moins légitime qu’un autre citoyen et vous avez le droit de signifier à l’autre des limites enfreintes allant à l’encontre des valeurs de la proclamée fraternité française et universelle qui est censée définir notre République.

« Mais je ne suis pas raciste, j’ai deux petites filles comme vous, elles sont formidables « . La vieille dame continuait à s’agiter. »

J’ai fait en sorte de ne pas alimenter ces propos afin de me concentrer sur mon échange avec le banquier. Ma réflexion n’était pas insidieuse mais percutante. Je fais bien la distinction entre les racistes (ceux qui adhèrent sans complexe à une idéologie qui n’est pas la mienne et qui appartiennent à un certain électorat) et les personnes qui ne le sont pas mais qui, par bêtise et manque d’intelligence, profèrent tout un tas d’âneries qui perpétuent malheureusement des clichés et stéréotypes ancrés dans nos imaginaires collectifs.

Ces personnes sont dans une forme d’inconscience intellectuelle naïve et bienséante qui génère un racisme normé et anodin. Ce genre de racisme qui passe crème et qui circule de bouche en bouche créant des clivages qui n’ont pas lieu d’être.

Le racisme normé c’est une façon d’enfermer l’autre dans une identité biaisée. C’est l’empêcher d’être lui-même et d’exprimer tout son potentiel. C’est une façon de le réduire à néant ou du moins à pas grand chose. C’est l’assimiler à un groupe humain en se basant sur des critères apparemment logiques et déterminants.

Si la cliente dont il est question (celle avec qui l’ancienne m’a confondu ) et moi-même avions été blondes, ce facteur capillaire aurait-il induit mamie en erreur ?

Il me semble que derrière cette apparente similitude se cache quelque chose d’assez pernicieux. Etrangement, les personnes incarnant un certain type ethnique sont plus sujettes que d’autres à se voir « confondues » avec un de leur congénère alors que d’autres groupes ethniques (ceux qui incarnent la norme sociétaire) semblent échapper à cette réalité.

Cette mamie, j’en suis sûre, n’est pas raciste à proprement dit, mais a incarné le temps d’une situation de la vie quotidienne et tout à fait banale un racisme normé & anodin reliant ma négritude à celle de l’autre cliente, annihilant ce que l’une et l’autre avions de plus sacré à offrir : NOTRE SINGULARITE.

Car si je pars de la réflexion de cette mamie je peux développer deux théories.

 La première consiste à dire qu’en tant qu’être unique en mon genre personne ne peut « être comme moi » puisque JE SUIS QUI JE SUIS  et que personne d’autre n’est celle que je suis : JE SUIS UNIQUE. Mon caractère, mon histoire, ma façon d’être, de penser et de me comporter me sont propres de telle sorte que tous ces éléments font de moi un individu unique, tout comme vous. Si je suis un être unique, je suis un individu singulier. J’ai beau interagir avec le monde qui me façonne et sur lequel j’ai moi aussi un impact, personne ne peut avoir la prétention de me ressembler et personne n’a le pouvoir de dire que quelqu’un d’autre est « comme moi », cela serait absurde. En effet, en partant de cette théorie, nous sommes tous des êtres singuliers.

La deuxième théorie consiste à dire que si cette dame est « comme moi », alors je suis comme elle, et cela n’a rien à voir avec le fait que nous soyons toutes les deux des femmes noires. Non. Cela provient du fait que nous incarnons la même énergie ; celle du souffle de vie qui pulse dans le cœur de chaque être humain. Au delà des apparentes différences liées à la couleur de la peau, à la texture des cheveux, à la façon de s’habiller, aux formes de croyances qui diffèrent de part et d’autre du monde, aux langues que nous parlons, aux dieux que nous aimons, nous sommes tous reliés.

Ainsi, si nous sommes tous reliés, alors que l’on ne m’associe pas uniquement à la beauté ébène, que l’on ne réduise pas mon apparence physique à ma négritude similaire à celle d’une sœur humaine, que l’on daigne me restituer ma posture d’être humain, d’individu connecté au tout, car je suis un être complet et bien plus complexe que ces simples caractéristiques censées me définir.

Que l’on ne m’enferme pas dans une petite boite sombre et mal aéré. Nous vivons dans un système où les êtres, hommes comme femmes sont classés par catégories, réduit à une identité faussées ne leur laissant pas la place d’exprimer qui ils sont vraiment. Cela rassure l’esprit humain et tend à offrir une soit disant meilleure compréhension du monde qui nous entoure. Je crois au contraire que cette façon de vivre et de concevoir le monde étrique notre vision, affaiblie notre esprit, et assèche nos coeurs.

Je reste convaincue que ces différences qui incitent les plus bêtes d’entre nous à créer la rupture, la séparation, la marginalisation, et le communautarisme, ces différences que l’on utilise volontiers pour associer l’autre à quelque chose d’extérieur à soi, sont là dans un but bien précis : permettre à l’Homme de voir en l’autre une réplique de lui même au delà des caractéristiques ethniques, socio-culturelles, éducatives, religieuses, idéologiques et politiques qui au premier abord semble nous éloigner les uns des autres.

C’est donc ça d’être humain !

Je suis sortie de là confuse. J’ai pensé à mon fils. Un petit métisse dont le père est français d’origine italienne et la mère française d’origine congolaise et guadeloupéenne. J’ai pensé à l’histoire de cet enfant dont l’arrière grand-père Giuseppe a fui le fascisme. J’ai pensé à mes ancêtres réduits en esclavage, et ceux ayant connu la colonisation. Je repense aux élections présidentielles de 2002, où l’impensable se produit. Je me souviens de ce fameux discours nauséabond sur la dite « identité nationale » et je me rends compte qu’il nous reste à nous autre être humain encore un long chemin à parcourir…

Quelle histoire vais-je bien pouvoir raconter à mon enfant ? Et surtout quel monde l’accueillera ?

J’en ai eu des frisons dans le dos. La bêtise humaine nous maintient dans des formes pensées avilissantes. L’autre, celui qui apparemment ne nous ressemble pas, est un étranger. Le racisme anodin continue à faire rage parce que trop d’individu ne se posent aucune question et vivent dans l’inconscience intellectuelle la plus complète. Il reste encore un boulot monstre à faire pour éduquer les humains que nous sommes !  Je comprends alors que ma mission de vie ne fais que commencer…

 

À propos de l’auteur

Aude a fondé Belle ô pluri'elle avec l'objectif  de valoriser l'essence féminine et promouvoir les beautés plurielles. Accompagner et aider  les femmes à révéler tout leur potentiel est une mission qui la passionne. Découvrez son dernier livre Osez le chômage ! Un tremplin vers la carrière de vos rêves paru aux éditions Vérone. http://osezlechomage.fr

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